Monstres des lacs du Québec

Monstres des lacs du Québec. Mythes et troublantes réalités, par Michel Meurger et Claude Gagnon.
Montréal, Paris, Éditions internationales Alain Stanké, 1982.

Chapitre 5 : Épistémologie : Hypothèses diverses et fausses certitudes (extrait), par Claude Gagnon

  Après avoir compilé les données de l'enquête et les sources historiques, nous allons maintenant étudier le phénomène d'un point de vue théorique. Dans la première partie de ce chapitre, nous résumerons trois hypothèses qui circonscrivent autant de façons d'expliquer la nature du phénomène. Ces diverses hypothèses, toutes fondées sur des postulats théoriques bien différents, ont peu de rapport les unes avec les autres ; chacune véhicule un système du monde complet, complexe et qui peut paraître plus ou moins admissible dans la perspective du sens commun. Il est bon de rappeler qu'ici le sens commun est d'un bien mince recours et qu'il n'apporte qu'une affirmation ou négation du phénomène sans autre appareil de justification que l'agressivité propre au discours d'opinion. Notre but, au contraire, est d'esquisser certaines voies scientifiques ou parascientifiques afin de répondre plus complètement que par un oui ou un non. La seconde partie du chapitre s'attaquera à ce qu'on pourrait nommer un obstacle épistémologique et qui réside dans le point de vue sensationnaliste, point de vue, attitude d'esprit qui caractérise la plupart des interventions de type journalistique sur la question. Nous tenterons de montrer comment la couverture sensationnaliste du phénomène, non seulement n'explique rien mais embrouille les pistes et empêche dans une large mesure la compréhension du phénomène. Le sensationnalisme est, aussi paradoxal que cela puisse paraître, un discours qui voile, qui occulte le phénomène - et ceci dès le départ - puisque c'est presque toujours le sensationnalisme qui justifie la première couverture du phénomène par ce qu'on nomme la presse ou le discours officiel.

  Dans l'événement que constitue une apparition de bête lacustre, comme dans tout événement extraordinaire de cet ordre, il faut donc rejeter souvent le premier reportage officiel sur la question, le premier compte rendu sous peine de ne jamais arriver à comprendre quoi que ce soit par la suite ; c'est du moins ce que nous essaierons de démontrer. Ensuite, la voie sera libre pour l'explication que nous proposerons dans le dernier chapitre ; explication non systématique, il va sans dire, et formulée avec le maximum d'ouverture et de relativité dont nous sommes capables. En cette matière, nous croyons préférable la prudence du jugement scientifique à l'enthousiasme caractéristique de l'emportement ou du désabusement cynique de l'opinion et du sensationnalisme qui en est le prolongement. Pour reprendre le mot de l'épistémologue Gaston Bachelard, nous essaierons de circonscrire la variation de la réalité du phénomène, la loi de cette variation, sans tomber dans la variété, c'est-à-dire l'attitude d'esprit qui réduit la curiosité à l'amusement et le phénomène naturel à l'attraction de cirque.

Claude Gagnon